PLEIN LE DOS !
Depuis qu'il a quitté la savane, l'homme se tient à peu près debout, à l'exception de l'écolier. L'écolier se tasse. L'écolier s'affaisse. L'écolier se plie. Cet aimable petit vertébré aux murs si attachantes est guetté par la scoliose, la lordose, la cyphose et je ne sais quoi. Selon l'usage, le cartable est accusé.
Ah, le cartable. Quel objet fascinant. Il n'a cessé d'enflé dans un monde où tout s'allège, le fauteuil de jardin, l'ordinateur, le vélo, le formulaire n°2074, le yaourt. C'est le denier barda du monde occidental. Au reste, son poids n'est rien. Ce qui importe est la proportion du cartable (10% maxi, selon les textes officiels) qu'il y a dans un scolaire tout équipé, avec enjoliveurs et options. Car le scolaire est un bloc. Comme le jockey avec son harnois, il faut le peser avec son fourniment. Menée voici trois ans, l'expérience tourna au cauchemar. Vous arriviez, au lieu du dixième d'un petit sixième - et j'entends le petit sixième de 35 kilos, fringant, bien décuplé, élevé sous la mère - à une cartablilisation de 25% et plus.
Qu'en est il aujourd'hui ? Ne misons pas sur l'État pour imposer son dixième. Un État qui n'est pas fichu d'obtenir qu'on mette assez de pont sur ses porte-avions n'a d'évidence pas l'il à tout. A chacun de se débrouiller en agissant sur l'un ou l'autre des compartiments du scolaire, soit : 1. l'enfant ; 2. son cartable ; 3. ce qu'il y a dedans.
Le plus facile est d'arriver à ce qu'il y est plus d'enfant. Il suffit d'installer le scolaire devant la télévision avec du pop-corn : vous aurez rapidement un petit sixième de 55 kilos, ce qui se voit de plus en plus, avec un rapport gros cartable/petit gros de 10 à 20%. CETTE MÉTHODE NE DOIT ÊTRE UTILISÉE EN AUCUN CAS.
Reste donc à réduire l'objet, lequel se divise en : 1. contentant ; 2. contenu. Descendu cette année à moins d'un kilos, le contenant est désormais d'autant plus aérien qu'il est ergonomique, c'est à dire garni d'un tas de machins gonflés ou gonflables à la limite de l'Air-bag. Est ce là suffisant ? Que non, puisqu'il arrive un engin qui eût atterré nos grands parents, sans parler de leurs petits enfants. Le sac à roulettes. Voici même un sac à roulette étudié pour la traction par patins à roulettes, ce qui est la dernière étape - il n'y a pas encore le klaxon - avant la voiturette. On voit par là que le contenu est le nud de l'affaire.
Une récente campagne de fouilles m'a permis d'établir qu'il se compose d'un tas incompressible de 700 grammes environs et d'un autre, de 5 ou 6 kilos, ouvert à l'action du réformateur. Le premier comprend : 1. les petites cochonneries (indispensables, disons 200 grammes) ; 2. la technologie de pointe (jeu vidéo, baladeur et cette année portable, car comment être au lycée sans être joignable ? Disons 500 grammes). Dans le deuxième tas, vous trouvez : 1. les fournitures : elles se miniaturises à fond la caisse (mais il y a les classeurs), avec l'inconvénient d'être vite mangée au lieu d'être grignotée comme autrefois ; 2. les manuels Ceux là, on peut les attaquer : a) du dehors; b) du dedans. Avec des couvertures et du papier aminci, les 5 ou 6 kilos d'imprimés nécessaire à notre petit sixième étalon ont été récemment allégés d'un tiers. Pour ce qui est dedans, il a été établi depuis un an que le savoir, c'est tout au plus 200 grammes d'un manuel de 800 grammes (ou 130 grammes environ d'un aminci). Ce qui suggère qu'on peut être un âne et bâté à la fois.
Sans versé dans la démagogie, il est permis de rêver à un cartable, tout bien pesé, réduit de moitié. Votre petit sixième light progresse vers l'école par bonds de 2 mètres. Gonflez son sac à l'hélium, il s'envole. Mais attention : allégez les manuels et vous êtes à deux pas d'alléger les programmes. En quoi le projet Allègre n'est pas qu'une affaire politique, sociale, pédagogique mais aussi vertébrale. C'est la première fois que le dos s'en mêle !
Vous avez tout lu ici, ou plus rien ne vous intéresse ? Alors, retournez d'où vous venez.
Bon, je pense quand même que personne aura pris au sérieux ce que je dis là, mais comme on sait jamais...
D'après un texte d'Alain Schiffres
paru dans l'express du 9/9/99
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Dernière mise à jour :
12/09/99