Gare au Gourou !

Frères, j'ai trouvé la lumière et je veux vous la faire partager. Un gourou a transformé mon existence. Une nuit, alors que je cherchais un raccourci que je ne trouvais jamais, je les ai vu, enroulés dans leurs draps jaunes autours du Grand Gourou. J'ai su alors qu'un soleil entrait dans ma vie, au moment même où en sortaient ma voiture, mon autoradio, mon portefeuille et ma Rolex. D'abord, il m'a fallu me détacher du monde extérieur, en courant tout nu dans la garrigue pendant trois jours et deux nuits. Puis je me suis libéré de l'esclavage numérique en hurlant mon numéro de carte bancaire, celui de mon téléphone portable, mon code secret de carte de crédit et le digicode des immeubles où logent mes parents et amis fortunés. J'ai teint mon drap en piétinant vingt kilos de pissenlits et j'ai tressé mes sandales de barbelé : ça tient au pied et ça accroche bien dans les pentes, qu'il nous est interdit de descendre en gourou libre.

Le Grand Gourou, les frères l'appellent le Vénérable, et les sœurs, qui partagent ses séances de méditations nocturnes, l'appellent le Vénérien. Dans sa vie antérieure, il était agent du fisc, puis il a trouvé son nouveau karma lors d'un voyage au Tibet. Il s'appelle désormais Toullech Mhaîn Mehn Tarom et il dirige la secte avec le soutien du Grand Verderom et du Petit Verderom, ainsi qu'à l'aide d'un secrétaire, Sédhérom, qui enregistre tout ce qu'il dit. Sans oublier la gourelle son épouse, un peu forte, nommée Troikarfâm Huncarom.

Notre communauté vit dans l'harmonie spacio-magnétique. Frère Gaétan, en tapant sur un enjoliveur, cherche à contacter les extraterrestres; il a déjà réussi à faire fuir les terrestres. Sœur Ariane, dont la vie ne tient qu'à un fil, souffre d'un orgelet géant, qu'elle calme en suivant les conseil du Gourou : elle prend des bains dans une infusion de plantes. C'est donc sur la base du Gourou que l'infusée Ariane soigne ses orbites. En vain : "néanmoins orgelet" geint-elle. Sœur Marie-Eglantine, elle, m'a appris à marcher sur la braise. Sur le braisodrome, laboratoire de l'éducation sectuelle, je tient neuf minutes. Le braisodrome forme des couples inédits : la semaine dernière, nous y avons uni un directeur de cabinet et une dame pipi. Enfin, il y a les frères cachés, des amis du Grand Gourou qui ne sortent que la nuit. Ce sont des gent très bien, il y a sept députés, trois ministres et un ancien dirigeant d'Elf, frère Albert, que l'on reconnaît tout de suite car il ne cesse de faire des trous dans le jardin pour trouver du pétrole, même s'il ne sort que des billets de banque.

Avec les autres frères et sœurs, je m'occupe du potager. J'ai planté des graines de sésame près desquelles je joue de la cithare les nuits de pleine lune; sœur Marie-Eglantine s'occupe de la ciboulette et le Grand Gourou soigne l'oseille. Nous refusons de porter tort à tout être vivant, donc nous ne cueillons pas nos plantes, nous les suçotons à quatre pattes. C'est le broutage à visage humain, qui respecte la Déclaration des droits de l'herbe. Nous nous réincarnerons tous, par ailleurs, en animaux : je serai un loup gourou, ou bien un gourou gorille. En revanche, nous avons le droit de traite, et je suis chargé des volailles. C'est dur de trouver le petit pis dans les plumes et de traire à la pince à épiler, mais le lait de poules, c'est très bon. Nous faisons aussi des fromages, sans l'hystéria, puisque les sœurs n'ont pas le droit de les toucher, et nous les vendons au marché. L'autre jour, nous y avons rencontré des frères écologiste qui nous ont parlé de Dany, leur gourou. Nous avons aussi le droit, pour fabriquer des bonbons un peu collants mais délicieux, de récolter la résine de bois : c'est la traite des planches.

Frère, si je vous parle aujourd'hui, c'est que l'heure approche du Grand Badaboum. Il faut se préparer à cette apocalypse. Un jour, j'ai demandé au Vénérable : "Ca saute quand Gourou ?" A son regard j'ai compris que c'était dans la poche : la fin du monde, c'est pour demain. Le Grand Gourou a d'ailleurs emporté tous nos bijoux, le reste de notre argent et les billets de frère Alfred pour les mettre à l'abri. Voilà six mois qu'il est parti. Je crois qu'il nous faudra bientôt sortir notre Gourou de secours.


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Bon, je pense quand même que personne aura pris au sérieux ce que je dis là, mais comme on sait jamais...
D'après un texte de Christophe Barbier.
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Dernière mise à jour : 5/04/99

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